LA REFORME DE L’AUDIOVISUEL
LES AXES DU DEBAT
HAMDANE Mohamed
Professeur -IPSI
La révolution du 14 janvier 2011 a engendré la remise en cause d’un régime politique autoritaire mais également la remise en cause de l’arsenal médiatique qui a contribué à la légitimation et au renforcement de ce régime. Le secteur audiovisuel attire ainsi l’intérêt de tous et suscite le plus de polémiques quant à son nouveau statut dans une Tunisie démocratique. Un climat de tension accompagne spécialement le fonctionnement des médias audiovisuels , des accusations sont adressées spécialement à l’audiovisuel de la part du gouvernement , des partis politiques qui s’estiment lésés , de la société civile dont une partie a fini par camper devant le siège de la télévision nationale .Mais la tension est observable aussi au sein de la télévision nationale et des négociations sont entamées pour réviser l’organisation de l’Etablissement de la Télévision Nationale et un débat a été engagé autour des attributions de son conseil d’administration et des modalités de nomination de son Président et des directeurs de chaines.
I –LA CREATION D’UNE INSTANCE DE REGULATION DE L’AUDIOVISUEL : UN DEBAT SUR LA COMPOSITION ET LES COMPETENCES
Conscient de l’enjeu que représentent les médias dans l’instauration de la démocratie, le gouvernement transitoire qui a dirigé le pays après le 14 janvier a crée l’Instance Nationale de Réforme de l’Information et de la Communication (INRIC) et lui a confié la tache d’assurer la réforme du secteur. Deux décret-lois ont été adoptés grace à cette instance : le décret loi No 115 du 2 novembre 2011 portant refonte du code de la presse, et le décret loi No 116 portant la meme date relatif à la liberté de la communication audiovisuelle et à la création d’une Haute Instance Indépendante de la Communication Audiovisuelle(HIICA). Après l’organisation des élections de la nouvelle assemblée constituante et la l’installation d’un nouveau gouvernement transitoire issu de cette assemblée le problème de la mise en vigueur des textes juridiques cités reste posé .Si le nouveau code de la presse a permis la floraison de plusieurs périodiques et a garanti une certaine liberté d’expression au sein de la presse écrite, la HIICA n’a pas encore vu le jour. Et l’INRIC considère que la défaillance de cette instance contribue à la crise actuelle de l’audiovisuel .D’autres parties adressent des critiques acerbes contre cette instance et réclament la révision du décret loi 116.
Quel est l’apport effectif de ce texte et dans quelle mesure il peut assurer la liberté d’expression audiovisuelle ? et quels sont d’autre part qu’on adresse à ce texte et qui pourraient expliquer son gel actuellement ?
1- Apports du décret loi 116
Le souci principal qui a guidé à l’adoption de ce texte était de dégager les médias audiovisuels publics et privés de l’emprise des pouvoirs publics .Le moyen le plus approprié a été de créer une autorité de régulation indépendante ,la HIICA, chargée d’organiser , de controler le fonctionnement du secteur audiovisuel et de garantir sa liberté et son impartialité , à l’instar des organismes similaires qui existent dans les pays démocratiques..
Cette instance répond au niveau de sa composition et de son organisation aux normes d’indépendance reconnues sur le plan international .Le décret loi assure cette indépendance grace à la collégialité de l’instance , à la désignation démocratique de ses membres, à leur représentativité des différentes parties concernées par l’audiovisuel ,à la durée limitée de leur mandant ,à à leur inamovibilité, et à leur disponibilité exclusive pour la mission qui leur a été confiée et à l’incompatibilité de leur fonctions avec emplois pour les dégager de l’influence des pouvoirs politiques et économiques.
La HIICA répond aussi au niveau de ses missions aux objectifs de garantie de liberté d’expression , de pluralisme , et de neutralité dans la régulation des médias .Le décret loi 116 accorde à cette instance des attributions qui étaient monopolisées auparavant par le pouvoir politique . La HIIC dispose d’un pouvoir de décision effectif pour délivrer les autorisations d’exploitation des entreprises audiovisuelles privées, pour élaborer les différents textes d’organisation du secteur , pour controler le fonctionnement des entreprises et le contenu de leurs production audiovisuelle, et pour sanctionner les violations de la réglementation. Cette autorité de régulation dispose aussi d’un pouvoir consultatif pour nommer les présidents des établissements audiovisuels publics , élaborer et proposer la législation audiovisuelle .Grace à cette instance, le secteur échappe désormais à l’emprise de l’Etat et garantit sa liberté. Mais malgré ses apports évidents ,le décret No116 soulève des critiques à plusieurs niveaux :au niveau du contexte de son élaboration, au niveau de l’organisation de la HIICA et au niveau de ses attributions.
2 - Le contexte d’élaboration du décret loi
Les reproches adressés à ce texte émanent des acteurs politiques qui souhaiteraient garder leur mainmise sur le secteur , des promoteurs des entreprises audiovisuelles privées qui souhaiteraient défendre leurs intérets économiques ,et des professionnels de l’audiovisuel qui souhaiteraient avoir un role plus important dans la gestion du secteur. Mais leurs critiques ne manquent pas de pertinence.
Concernant les conditions d’élaboration du décret loi , on signale que le texte a été conçu par une instance (l’INRIC) désignée , non élue et non représentative nécessairement de tous les acteurs de l’audiovisuel .Le texte a été discuté et adopté par la Haute Instance de Défense des Objectifs de la Révolution elle-même non élue et sans consultation des patrons de l’audiovisuel .Le texte a été promulgué par un pouvoir politique transitoire et sans légitimité populaire d’une manière jugée précipitée , quelques semaines avant les élections de l’assemblée constituante et son remplacement par un autre pouvoir issu de ces élections.
Les auteurs du projet ont été jugés imprégnés de modèles occidentaux et adopté une démarche d’imitation de la législation française .La HIICA ne diffère pas beaucoup dans son organisation et dans ses attributions du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel en France .La séparation entre un code de la presse écrite et une réglementation de l’audiovisuel peut se justifier dans le contexte de l’évolution des médias des pays occidentaux. Mais dans un contexte de révolution et à l’heure de la convergence des médias , de l’essor de l’internet et du journalisme électronique la création d’une autorité de régulation de l’audiovisuel parait insuffisant .L’Etat gère des entreprises de presse écrite(La Presse- Essabah) et l’agence Tunis Afrique Presse que la réglementation ignore. Il n’y a pas par conséquent une vision globale de la politique de l’information dans son ensemble.
Enfin le contexte transitoire de l’adoption du texte rend sa mise en vigueur polémique. Le décret loi attribue au Président de la république des attributions qui lui ont été retirées par l’assemblée constituante dans la nouvelle organisation provisoire des pouvoirs publics. Au cours de l’élaboration de la nouvelle constitution ,l’assemblée constituante a abouti à une autre vision de la politique de l’information et a prévu la création d’une autorité de réguation qui bénéficierait du statut d’une instance constitutionnelle à l’instar de certaines expériences européennes( en Allemagne et en Autriche …)
3 - L’organisation de la HIICA
D’autres réserves ont été formulées quant à la composition et l’organisation de la HIICA. Un premier problème peut etre soulevé quant à la nature juridique de cette instance .En vertu du décret loi 116, il s’agit d’un organisme ayant la personnalité juridique et l’autonomie financière mais il ne s’agit pas d’un établissement public soumis à la tutelle de l’Etat. Il peut etre qualifié comme c’est le cas du C .S.A. français d’ (autorité administrative indépendante). Mais la loi française de 1986 ne confère pas au CSA la personnalité juridique. La nature juridique de l’instance pourrait soulever quant à ses rapports avec les l’Etat et les acteurs de l’audiovisuel.
La composition de la HIICA est dominée dans sa représentativité par les syndicats professionnels : Sur les 9 membres qui la composent , un seul membre ,le Président de l’instance est désigné par le chef de l’Etat ,2 membres sont désignés par le pouvoir législatif ,les 6 autres membres sont proposés par les structures professionnelles les plus représentatives y compris les deux magistrats prévus dans le textes. Sans etre une instance d’autorégulation les structures professionnelles sont largement représentés au détriment des pouvoirs publics élus par le peuple et au détriment d’autres composantes de la société civile concernée par le secteur audiovisuel .Si en France le CSA est constitué de personnalités désignées par le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, les instances de régulation de l’audiovisuel en Allemagne représentent à raison des deux tiers la société civile ,dans ses composantes professionnelles certes mais également artistiques ,religieuses et educationelles.
4 - Les larges attributions de la HIICA
Ce sont surtout les larges attributions de la HIICA qui suscitent le plus de craintes et la polémique. Le texte instituant cette instance n’a pas été précédé d’un loi réglementant l’audiovisuel et qu’elle serait chargée d’appliquer comme c’est le cas de la loi du 30 septembre 1986 sur la liberté de la communication en France .L’instance tunisienne de contrôle des élections instituée elle aussi après la révolution avait une loi préalable à appliquer. Le décret loi No 116 été conçu comme un texte réglementant la liberté de la communication audiovisuelle mais il n’a posé que des principes très généraux dans ce sens et il s’est surtout focalisé sur la détermination du statut détaillé de la HICAA, et il a confié à cette instance des attributions réglementaires très larges. C’est à la HICAA que revient la mission d’établir les cahiers des charges relatifs à l’exploitation des entreprises audiovisuelles, d’établir les règles de déontologie publicitaire, d’établir les critères « législatifs » et techniques des études d’audience (article 16 du décret loi). La HIICA intervient aussi pour pour établir les règles relatives aux campagnes électorales par les moyens audiovisuels (article 44) .Elle intervient pour élaborer la réglementation relative la production et la diffusion des émissions audiovisuelles au cours de ces campagnes (article 33) , ce qui peut engendrer des contradictions avec la réglementation électorale en vigueur et entrainer des conflits avec les autres instances chargées du contrôle des élections. Ces attributions très étendues dépassent normalement le cadre des compétences d’une autorité administrative et empiètent sur les compétences du pouvoir législatif et réglementaire.
En tant qu’autorité administrative , la HICAA dispose de compétences non moins étendues. Elle est chargée essentiellement de délivrer les licences d’exploitation aux entreprises audiovisuelles privées. Elle cumule cette mission avec le controle du fonctionnement des chaines audiovisuelles publiques alors que les deux secteurs sont soumis dans certains pays à des autorités de régulation différentes. Ses attributions ne se limitent pas à l’octroi des autorise de création des entreprises audiovisuelles mais elle assure aussi le contrôle de leur fonctionnement et meme le contenu de leurs programmes .Elle veille notamment au respect de la déontologie du contenu des programmes et de la publicité audiovisuels, au respect de la vie privée et à la protection de l’enfance.
Ce sont surtout les attributions judiciaires étendues de la HIICA qui soulèvent le plus de critiques . Le décret No 116 attribue en effet à cette instance le pouvoir de trancher les conflits engendrés par l’exploitation et le fonctionnement des entreprises audiovisuelles .En plus du pouvoir d’enquete sur place et sur pièce dont elle dispose grace à un corps de controleurs mis à son service, la HIICA dispose des pouvoirs d’adresser des avertissements aux entreprises audiovisuelles, d’arréter la production ou la diffusion de certaines émissions, de réduire la durée des autorisations d’exploitation , de suspendre temporairement ces autorisations et meme de les retirer définitivement. La HIICA dispose par ailleurs d’un pouvoir de sanctions pécuniaires qui peuvent atteindre 50 mille dinars. Elle dispose d’un pouvoir de saisie et de réquisition des équipements. Le décret No 116 prévoit certes des règles très minutieuses pour mettre en application ces sanctions , pour garantir le droit à la défense, pour assurer les recours judiciaires contre ces sanctions au niveau de l’appel. Mais ces attributions sortent du cadre normal attribué à ce genre d’autorités administratives meme si elles sont indépendantes. Si on ajoute à ces compétences de sanctions , celles de légifération ,celles de contrôle, celle d’émettre un avis conforme pour la désignation des présidents des chaines audiovisuelles publiques, on s’aperçoit d’une concentration excessive des pouvoirs attribués à la meme autorité. Le statut de la HIICA , en contradiction avec le principe de séparation des pouvoirs pourrait engendrer le détournement de pouvoirs .
II -LE PROBLEME DE LA PRIVATISATION DES MEDIAS AUDIOVISUELS PUBLICS
L’annonce par certains leaders du parti Ennahdha ,au pouvoir, de leur volonté de privatisation des médias publics en 2012 a suscité un autre grand débat public sur l’opportunité d’une telle orientation. L’élite tunisienne qui a toujours milité pour le désengagement de l’Etat du secteur des médias pour les libérer de son emprise se trouve aujourd’hui dans une position de défense de ces memes medias publics .Historiquement, L’Etat tunisien a été le promoteur du premier journal et de la première imprimerie dans le pays. Après l’indépendance ,il a tenu à prendre en main les principaux médias du pays (agence TAP, radio, télévision) et a racheté le principal quotidien du pays ,lejournal La Presse. Pendant plus de 50 ans l’Etat a été le principal patron de médias, le principal employeur de journalistes et il s’est assuré par conséquent sa mainmise presque totale sur le secteur. C’est ce qui justifiait l’appel par l’élite à la désétatisation des médias. Qu’est ce qui justifie ce revirement ? et que cache Ennahdha derrière sa nouvelle prise de position à l’égard des médias publics ?
1.La privatisation des médias publics, une manœuvre politique ?
L’opposition à la privatisation des médias dépasse le cadre d’une polémique politique entre parti au pouvoir et opposition. Elle reflète surtout des craintes de fond. L’histoire des médias en Tunisie et dans divers pays arabes a démontré que cette privatisation a constitué dans la majorité des cas un moyen détourné pour garantir l’hégémonie de l’Etat sur ces médias. Au début de l’indépendance du pays, le statut de la TAP a permis à certains particuliers d’etre associés au capital de l’agence pour lui donner une image d’indépendance et de liberté. Le statut de la SNIPE( La Presse) reflétait la meme démarche et poursuivait les memes objectifs. Mais cette association des privés au capital des deux entreprises était dérisoire ce qui rendu cette implication des particuliers plus que formelle.
Dans le secteur audiovisuel le pouvoir politique était réticent pendant des décennies à associer les privés . Sous la pression d’un nouveau contexte international et technologique qui remet en cause la souveraineté de l’Etat sur la circulation de l’information, le pouvoir a fini par accepter l’association des privés dans la gestion des médias audiovisuels. A l’image de ce qui a été fait dans certains pays du Golfe et d’autres pays arabes les médias audiovisuels étaient confiés à des parents ou à des hommes d’affaires au service du pouvoir. Sous le régime de Ben Ali , les principales stations de radio et de télévision étaient confiés à ses proches .Le journal Assabah a été également racheté par Sakhr Elmatri.
Dans le secteur numérique qui revet une dimension mondiale ,le pouvoir était obligé de donner à l’Agence Tunisienne de l’Internet le statut d’une société commerciale privée et on sait combien cette nature privée n’était que formelle et combien cette agence a exercé sa censure sur les sites web dans le pays. Ainsi l’expérience de la Tunisie en matière de privatisation des médias n’a engendré qu’une fausse privatisation.
L’opposition actuelle contre la privatisation des médias publics pourrait réfléter un crainte que le parti Ennahdha dissimule par cette manoeuvre politique sa volonté de controler les medias publics par le biais d’hommes d’affaires qui lui sont acquis. Mécontents de l’insoumission des journalistes et de leur volonté d’assurer leur indépendance, les militants islamistes ont organisé des campagnes orchestrées , des manifestations et un sit in devant le siège de la télévision pour dénigrer les journalistes en général et porter atteinte aux journalistes des médias publics en particulier.Le discours sur la privatisation des médias s’insère dans ce contexte de critiques formulées contre les médias publics et leurs journalistes.
2 .Les médias privés tunisiens, un modèle à suivre ?
Reste à savoir si l’association des privés dans la gestion des médias publics pourrait assurer plus d’indépendance et de dynamique dans ce secteur. Il est évident que les médias publics poursuivent une mission de service public et s’engagent dans des productions médiatiques culturelles , éducatives ,religieuses et scientifiques qui nécessitent beaucoup de moyens et qui ne sont pas nécessairement rentables. Les médias publics sont appelés à sauvegarder le patrimoine artistique ,musical et littéraire national ,à promouvoir la création intellectuelle et artistique ,et à défendre la pureté de la langue arabe , indépendamment des considérations lucratives.
La privatisation des médias publics suscite ainsi des craintes quant à leur insertion dans une logique marchande qui ne prend pas en considération cette mission culturelle vouée aux médias publics. Soumis à la logique de l’audience et de l’audimat pour attirer les annonceurs et garantir le maximum de recettes publicitaires ,ces médias pourraient etre amenés à utiliser une langue populaire franco arabe et à diffuser un contenu massifié , standardisé qui plait aux gout du grand public : des clips de vedettes de la chanson orientale ou occidentale , des feuilletons importés. L’information virerait au sensationnel et à la provocation des polémiques et des conflits. L’appel du parti Ennahdha à la privatisation des médias publics semble en contradiction avec leur programme politique attaché à ancrer le citoyen tunisien dans sa culture arabo musulmane .La privatisation implique l’insertion dans marché commercial mondialisé qui ne reconnait pas les identités.
Les craintes spécifiques des journalistes sont liées à leur statut futur dans ces médias privatisés. Leur expérience avec certains patrons de médias privés démontre que ceux-ci font fi aux statuts de la profession ,ne respectent ni les droits moraux ,ni les droits pécuniers des journalistes. La logique marchande de ces patrons les amène à exploiter les journalistes.
Loin de promouvoir les médias publics ,ni de leur garantir l’indépendance ,la privatisation les dégage apparemment des pressions du pouvoir politique pour les soumettre à des pressions plus contraignantes, celles de l’argent.
III – REGULATION DE L’AUDIOVISUEL OU REGULATION DE TOUS LES MEDIAS ?
Au lieu de promulguer le décret loi 116 sur la régulation de l’audiovisuel ,
l’Assemblée Nationale Constituante s’est orientée dans une autre direction : Elle a élaboré un projet de régulation de tout le secteur des médias et intégré le projet au sein meme de la constitution. Les articles de la constitution relatifs à l’instance indépendante de l’information ont suscité une polémique entre les initiateurs de cette instance d’une part et le Syndicat National des Journalistes Tunisiens d’autre part. Celui maintient son attachement à la mise en vigueur du décret loi numero 116 relatif à la Haute Autorité de l’Information et de la Communication Audiovisuelle (HIICA). Il émet des réserves quant à l’opportunité de donner à cette instance un statut constitutionnel , et quant à son élargissement pour englober tous les secteurs de l’information. Il conteste surtout la composition de l’instance constitutionnelle qui va etre élue d’après le projet proposé par le pouvoir législatif sans participation aucune de la part des professionnels de l’information. Ces craintes de soumission de l’instance aux directives du pouvoir politique sont certes légitimes et le risque de manipulation de l’instance par les forces politiques en présence est probable alors que la révolution a eu le grand mérite de consolider le grand acquis de la liberté d’expression. Mais les réserves formulées par le SNJT méritent d’etre revisitées pour les évaluer et proposer quelques solutions permettant de dépasser les divergences existantes.
L’application du décret loi 116 relatif à la HIICA peut constituer certes une solution urgente pour combler le vide juridique grave dans le domaine de l’audiovisuel . Mais ce décret loi , une fois transformé en loi, peut etre à tout moment revu par le pouvoir législatif qui va etre élu et il n’est pas certain qu’il sera révisé par une autorité politique pour lui accorder plus de pouvoir et d’indépendance . Intégrer l’instance de l’information au sein meme de la constitution représente l’un des grands acquis de la révolution à coté de l’ISIE. Accorder à cette instance une place dans la constitution constitue une reconnaissance claire et irréversible de l’information et des médias en tant que quatrième pouvoir . Et il est plus difficile de reviser la constitution et de revenir sur cet acquis important. Plusieurs autres pays africains qui ont passé par la meme transition démocratique que la notre ont tenu à inscrire cet acquis dans leurs constitutions.
1- Un débat sur les prérogatives
Quant à la controverse relative aux prérogatives de l’instance indépendante de l’information et au domaine de régulation couvert par cette instance, le SNJT estime que celle-ci doit se limiter dans sa mission au domaine de l’audiovisuel à l’image des pratiques courantes dans les pays occidentaux démocratiques. Le secteur de la presse écrite est autorégulé dans ces pays par la profession dans le cadre de conseils de presse et on peut s’en inspirer pour créer un conseil similaire . Cette proposition peut etre effectivement envisageable et défendable. Mais elle occulte le statut exclusivement privé des entreprises de presse écrite dans les pays occidentaux démocratiques qui nous servent de référence. Elle occulte aussi le secteur de la presse électronique qui souffre d’une grande anarchie . En Tunisie , l’Etat a historiquement une place prédominante dans tous les secteurs de l’information. A la suite de son long monopole de l’audiovisuel, l’Etat assure la gestion des deux établissements publics de la radio et de la télévision tunisiennes . Après la révolution il est associé à la gestion d’Attunissyia tv, des radios Shems FM et Azzitouna. En plus de l’audiovisuel , l’Etat gère l’agence nationale de presse TAP. Il gère dans le domaine de la presse écrite la SNIPE ( avec ses deux quotidiens La Presse et Assahafa) ainsi que Dar Assabah (avec ses deux quotidiens Assabah et le Temps ainsi que son site web Assabah news). Si on estime qu’une autorité de régulation contrôle et régule les médias privés elle est aussi la garante de l’indépendance des médias publics audiovisuels , écrits et électroniques. D’ailleurs la profession a tant milité pour revendiquer l’indépendance de Dar La Presse , de l’agence TAP et surtout de Dar Assabah . Réserver le domaine de compétence de l’instance à l’audiovisuel uniquement risquerait de menacer l’indépendance des secteurs des médias écrits et électroniques publics . Il est donc plus qu’avantageux d’associer l’instance de l’information dans ces secteurs pour garantir l’indépendance de tous les médias publics .Le modèle occidental n’est pas toujours adaptable à notre contexte et à l’histoire spécifique de nos médias . Au contraire on peut etre innovant et servir de modèle pour ces pays. L’instance de l’information pourrait prévoir dans son organigramme des départements spécifiques pour réguler les différents secteurs : audiovisuel, écrit et électronique.
L’instance de l’information pourrait elle se transformer en un ministère de l’information , comme le craint le SNJT ? Cette crainte est plus que légitime si le pouvoir législatif aurait le monopole exclusif de nomination des membres de l’instance en fonction des forces politiques en présence . Mais il faut reconnaitre d’autre part que cette instance n’est pas un organe d’autorégulation pour qu’elle soit dominée dans sa composition par les représentants de la profession. Le secteur est certes un domaine intellectuel dans lequel la liberté de l’information et de l’expression sont primordiales . C’est aussi un secteur économique soumis aux règles d’une concurrence sauvage et si les médias échappent au pouvoir de l’argent ils peuvent etre soumis au pouvoir plus dangereux de l’argent. C’est aussi une industrie déterminée aussi par les progrès technologiques du numérique et de la télécommunication aussi bien dans l’audiovisuel que la presse écrite et électronique .C’est aussi un secteur de souveraineté culturelle appelé à défendre la culture nationale , sa langue et ses croyances . C’est «également un produit destiné à un public qui doit etre défendu contre la manipulation et la désinformation . Le monde des médias revet plusieurs dimensions et implique plusieurs acteurs . Il est donc important d’impliquer ces différents acteurs dans la mission de l’instance de l’information à coté des professionnels de l’information et des pouvoirs publics exécutif, législatif et judiciaire.
2- Un débat sur les structures
Pour assurer l’indépendance effective de l’instance de l’information, on peut s’inspirer du compromis trouvé par les membres de l’ANC pour constituer l’ISIE et assurer l’indépendance et la transparence des élections . Le pouvoir législatif élu par le peuple pourrait avoir un pouvoir de nomination mais ce pouvoir ne doit pas etre discrétionnaire . Les différents acteurs peuvent etre associés dans cette mission en proposant des candidats soumis à l’approbation du pouvoir législatif . A coté des représentants de la profession prévus par le décret loi 116, d’autres acteurs peuvent désigner des candidats pour faire partie de l’instance :le Président de la République, le Chef du gouvernement, la Chambre du Peuple, le Conseil Supérieur de la Magistrature, l’ISIE ( intéressée par la neutralité politique des médias), le Conseil de la Concurrence ( chargé de veiller à la libre concurrence notamment dans les entreprises médiatiques), l’instance de régulation des télécommunications ,et les organisations de la société civile défendant la culture et l’éducation nationales ainsi que les consommateurs . La diversification des intervenants dans la proposition des membres de l’instance pourrait constituer une garantie pour l’indépendance de celle-ci . Et les craintes du SNJT seraient certainement moins grandes.
Reste à signaler que la mise en vigueur de la HIICA ou la création de l’instance indépendante de l’information ne constituent pas une fin en soi . L’ISIE ne peut pas fonctionner sans code électoral qu’elle est chargée de le mettre en application . Les instances de régulation de l’information ne peuvent pas fonctionner non plus en l’absence d’une loi. Une tache encore plus importante attend le législateur durant les années à venir : combler le vide juridique flagrant dans le domaine des médias et donner une assise juridique aux décisions de l’instance de régulation.
Conclusion : Les débats occultés
En conclusion on peut estimer que le principe de création d’une autorité indépendante de régulation de constitue un acquis dans la voie de la démocratie .La HIICA doit exister et doit commencer à fonctionner mais son statut mérite d’etre révisé et élrgi aux autres médias pour lui assurer le plus de chances de garantir la liberté et la promotion du secteur de l’information et de la communication en Tunisie.
Malgré l’importance des débats soulevés, le secteur de l’audiovisuel souffre encore d’un grand vide juridique . Le débat qui a été entamé concerne les aspects structurels et institutionnels relatifs à l’audiovisuels .D’autres problèmes non moins importants mériteraient le débat. En effet on a pensé jusqu’à présent aux institutions qui vont réguler l’audiovisuel mais on n’a pas réfléchi sur l’assise juridique qui permettrait à ces institutions de fonctionner. Un autre débat va etre mené autour de la loi de la communication audiovisuelle qui va fixer les conditions de création des stations de radio et de télévision privées et qui va déterminer leurs conditions de fonctionnement. Des cahiers de charges vont se baser sur cette loi pour pour permettre à l’instance de régulation sur une assise légale claire.
Le débat le plus important à soulever concerne la dimension économique et financière de l’audiovisuel . On a penser à libérer l’audiovisuel du joug du pouvoir politique mais on n’a pas réfléchi jusqu’à présent aux sources de financement de l’audiovisuel qui sont importants et qui risquent de soumettre la liberté de l’audiovisuel à la pression du pouvoir de l’argent et de celui des partis politiques dominants . D’ailleurs certaines chaines de télévision privées qui ont été autorisées à fonctionner n’ont pas vu le jour par manque de moyens . D’autres chaines ( comme TWT ) ont disparu . D’autres chaines de radios et télévision ( comme Al hiwar Attounsi ) connaissent des difficultés financières et risquent de disparaitre . Il est donc important de réfléchir sur dimension financière de l’audiovisuel pour garantir une liberté et une croissance effectives de la communication audiovisuelles.
Bibliographie
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